Vous souvenez-vous quand je vous ai parlé dans un article précédent des différences entre la recherche qualitative et la recherche quantitative ? Nous avions alors vu que, bien que différentes, elles sont complémentaires. Aujourd’hui, rentrons un peu plus en détail sur le qualitatif. Quelles sont les différentes méthodes de recherche qualitative et comment choisir laquelle utiliser pour son projet ? Regardons cela ensemble…
Un petit rappel sur la recherche qualitative
En recherche qualitative, on cherche à échanger, rencontrer ou observer directement avec un petit nombre de personnes. L’objectif est de se concentrer sur le “pourquoi”, de chercher à comprendre en profondeur les besoins ou problèmes des utilisateurs. Pour cela les questions posées sont ouvertes et l’on s’attache aux émotions. Le résultat sera exprimé sous forme de mots, de phrases et non de chiffres. Les échanges avec les utilisateurs sont généralement longs (par exemple, il est courant de réaliser des entretiens d’une heure).
Avec qui réalise-t-on des études qualitatives ?
Tout dépend de la méthode et de ce que vous cherchez à savoir ! Vous pouvez choisir de mener une session de recherche qualitative :
- auprès de vos utilisateurs : ils connaissent déjà votre produit ou service. Vous pouvez leur faire tester une nouvelle fonctionnalité, recueillir leurs avis, observer leurs habitudes de comportement. Et vous les avez déjà sous la main !
- auprès de gens que vous ne connaissez pas : ils utilisent peut-être le produit de votre concurrent, sont dans votre cible ou bien ne vous connaissent pas du tout. Leur point de vue est “tout neuf”. Il peut être compliqué de les trouver, car ils ne sont pas dans votre cercle proche mais cette source diversifie considérablement vos apprentissages.
- auprès de vos prospects : ils s’intéressent à votre produit/service mais ne l’utilisent pas encore. Donc, leur avis est neutre mais ils font partie de votre cible. Tournez-vous vers votre équipe commerciale pour les contacter.
Les équipes qui initient une démarche utilisateur se concentrent d’abord sur les clients, éventuellement leurs prospects. Lorsqu’elles vont aller plus loin dans la démarche, elles intègrent de la recherche sur des externes. Cela leur permet notamment de prendre de l’avance par rapport à la concurrence.
Des méthodes pour chaque étape d’un projet
L’objectif de la recherche utilisateur va dépendre de l’étape du projet dans laquelle vous vous situez :
- phase d’exploration : dans ce cas, l’objectif est de générer des hypothèses, d’en apprendre plus sur le sujet, les problématiques. On en ressort avec beaucoup de constats, d’idées qu’il faut ensuite trier.
- phase de confirmation : vous disposez déjà d’hypothèses ou de solutions que vous souhaitez vérifier/valider auprès des utilisateurs.
Toutes les méthodes qualitatives sont différentes et présentent certains avantages et inconvénients. Chacune a son objectif et sera utilisée préférentiellement à une étape d’un projet plutôt qu’une autre.
Le processus de conception est découpé en 4 étapes qui alternent phase exploratoire / phase de confirmation (souvent appelé Double Diamant, voir plus d’explications par le groupe Nielsen Norman Group). Dans ce schéma, les entretiens utilisateurs ou les Focus Group vont être particulièrement utiles en phase exploratoire. Pendant la phase de conception, vous pouvez intégrer les utilisateurs à la réflexion par un atelier de co-conception. Les tests utilisateurs vont ensuite vous permettre de valider vos hypothèses en phase de production.
Chaque étape a sa ou ses méthodes préférée(s) :
Tour d’horizon des différentes méthodes de recherche qualitative
Le test utilisateur
Un test utilisateur, ou mieux nommé test d’utilisabilité, vous permet de tester votre produit ou service en conditions réelles avec un participant. Pour cela, vous demandez à ce participant de réaliser certaines tâches sur votre site ou application et observez sa façon de s’en servir et ses difficultés d’utilisation.
Il s’agit d’évaluer votre produit et à quel point il répond aux besoins des utilisateurs. En général, un test d’utilisabilité vous permet de valider une ou plusieurs hypothèse(s), de confirmer le choix d’une solution.
C’est la méthode de recherche utilisateur la plus utilisée en UX. Vous pouvez réaliser votre test utilisateur sur un prototype, sur des maquettes ou sur votre produit actuel suivant votre besoin (le principal étant de bien définir son objectif d’étude avant de se lancer).
Le test utilisateur peut être réalisé :
- en non modéré : le test est réalisé par le participant de manière indépendante, sur une plateforme spécifique et en suivant des instructions données. Vous récupérez le résultat à la suite du test (une vidéo par exemple, ou bien des réponses écrites à des questions). Il n’y a pas d’échange direct entre le participant et vous. Des plateformes telles que Usertesting, Testapic ou Ferpection vous permettent de mener de telles études. Les tests non modérés vous font gagner du temps (vous lancez votre session et revenez une fois les tests complétés) mais ne vous permettent d’approfondir un sujet avec le participant.
- en modéré : vous l’aurez compris, il s’agit dans ce cas d’avoir une interaction directe avec le participant. Vous guidez le participant en lui donnant les instructions et pouvez si besoin lui poser des questions supplémentaires pour creuser un point spécifique. Ils peuvent être réalisés en présentiel : chez vous, chez le participant, dans une salle de test spécifique ou bien dans une salle de réunion externe. Il est aussi possible de les mener à distance en visioconférence, via des outils permettant notamment le partage et/ou l’enregistrement de l’écran, du son et de la vidéo. Des outils spécifiques existent (comme Lookback, Validately ou encore Marvel) mais il est également possible d’utiliser des dispositifs classiques de visioconférence comme Zoom, Meet ou Skype. Tout dépend du résultat attendu : voir le participant en physique vous permet d’être plus attentif à ses faits et gestes, et donc plus dans l’observation du comportement ; le distanciel s’attachera plus aux pensées du participant (donc plutôt tourné vers l’attitude). Si vous souhaitez rencontrer des participants issus de différents lieux géographiques par exemple, les tests à distance peuvent se révéler une bonne option intermédiaire.
Le budget associé à une session de test utilisateur évolue dans une fourchette assez large suivant la façon dont vous décidez de l’organiser :
- Une salle spéciale de test demande un budget plus important (compter environ 600€ la journée) et présente l’avantage de permettre à d’autres personnes d’assister au test de manière cachée (derrière une vitre sans teint) pour ne pas perturber le participant.
- Un recrutement de participants auprès d’un panel externe vous coûtera environ 100 à 150€ par participant en B2C (dédommagement inclus) et vous assure de rencontrer des participants neutres. En recrutant auprès de vos utilisateurs ou de vos connaissances, les retours présentent un biais dû à l’intérêt des participants pour votre produit ou pour vous. Pensez néanmoins toujours à prévoir un dédommagement, pour les remercier du temps passé (pour plus d’informations, notre article précédent sur le montant des contreparties vous dira tout ou bien notre page de devis vous montrera rapidement quelle contrepartie nous semble adaptée à votre cible).
L’entretien utilisateur
L’entretien utilisateur consiste en une simple discussion avec le participant, au cours de laquelle on lui pose des questions ouvertes pour le faire parler sur ses habitudes, ses besoins, sa façon d’appréhender un problème ou bien encore son processus d’adoption d’une solution. Tous les sujets peuvent être évoqués, il s’agit pour la personne qui mène l’entretien de creuser un sujet ou une problématique particulière (identifiés en amont).
Il s’agit là aussi d’une méthode qualitative très utilisée en UX, particulièrement en recherche exploratoire, pour déterminer la ou les problématiques des utilisateurs.
Tout comme le test utilisateur, l’entretien utilisateur peut être réalisé :
- à distance : via des outils de visioconférence ou tout simplement par téléphone
- en présentiel : chez vous, chez le participant ou dans un lieu tierce (café, salle spécifique…)
Le budget d’un entretien utilisateur sera également très variable, comme pour un test utilisateur, selon la qualité finale que vous souhaitez obtenir (dépendant du lieu, de la contrepartie éventuelle pour le participant, du type de participant rencontré, etc…). Veillez à prévoir là aussi un dédommagement pour vos participants. En agence, les prestations tout compris pour une session de 6 entretiens utilisateurs commencent à partir de 2500€.
Le guerilla test
Le guerilla test consiste à se rendre dans un endroit public passant (le hall d’une gare ou un café par exemple) et faire tester rapidement un prototype/un produit/une fonctionnalité aux gens ayant un peu de temps. Un échange avec un participant dure environ dix à quinze minutes (par exemple, une équipe que nous connaissons se rend à l’arrêt de tramway le plus proche et a pour habitude de faire des sessions de guerilla test de 7 minutes top chrono car c’est le temps d’attente entre deux tramways !). Il faut bien sûr oser aborder les passants mais la majorité des gens vous répondront positivement pour peu qu’ils soient en train d’attendre.
Cette méthode de recherche qualitative est très rapide à mettre en oeuvre : elle demande une préparation sur la (ou les hypothèses) à tester, les tâches et le prototype, mais pas d’organisation logistique (lieux, participants) : il vous suffit de vous rendre à l’endroit passant le plus proche et le tour est joué !
Au niveau du budget, cela ne vous coûtera rien. Si vous avez tout de même un peu de budget, proposez au participant de lui offrir un café ou bien donnez-lui des réductions à offrir sur votre site, cela fera toujours plaisir !
C’est en réalité une méthode de recherche à la limite entre qualitatif et quantitatif : qualitatif car les temps d’échanges sont relativement courts et qu’une session de guerilla test permet de rencontrer beaucoup de participants différents, mais qualitatif également car il y a tout de même un échange direct avec le participant, permettant de creuser avec lui certains points et s'attacher au “pourquoi”. Gardez tout de même en tête que le temps passé avec la personne est très court, vous n’irez donc pas en profondeur dans le sujet. Utilisez cette technique pour valider quelques hypothèses très simples (comme une nouvelle petite fonctionnalité).
L’atelier de co-conception
Lors d’un atelier de co-conception, on invite plusieurs participants (généralement entre 5 et 8) à participer à la conception du produit. En groupe, les participants réfléchissent à des solutions à leurs besoins sur des thématiques précises, définies par l’animateur.
Cette méthode est bien sûr particulièrement utilisée en phase de conception d’un nouveau produit ou service, au début de la réflexion.
C’est un méthode qui demande de la logistique et de l’anticipation : sélection des participants, réservation d’une salle adaptée et préparation du lieu, préparation de l’atelier et animation (par un spécialiste si besoin). Un atelier de co-conception pourra donc s’avérer chronophage (si vous optez pour la version Do It Yourself) ou coûteuse (si vous optez pour la version “Je délègue”).
L’animation d’un atelier de co-conception peut s’avérer délicate : il faut savoir impliquer les différents participants, distribuer la parole équitablement, conserver la trame définie tout en restant le plus neutre possible. Sans habitude, nous vous conseillons de vous faire aider par un animateur spécialisé. En retour, vous ressortirez d’un tel atelier avec beaucoup de pistes différentes - cela vous assure de ne pas vous enfermer dans une solution inadaptée aux besoins des utilisateurs.
L’observation
L’observation consiste, comme son nom l’indique, à observer les comportements des utilisateurs et leur façon d'interagir avec le produit dans leur environnement naturel. Contrairement à un entretien utilisateur ou à un test utilisateur, on ne cherche pas à guider le participant par une consigne ou des questions. L’objectif est de le laisser se comporter naturellement, sans interactions avec vous, et de l’observer.
Cette méthode qualitative permet d’identifier les besoins et les problèmes des utilisateurs, ainsi que leurs attente, ce qui en fait une méthode de recherche particulièrement adaptée en recherche exploratoire.
Suivant les cas, elle peut être compliquée à mettre en œuvre car il n’est pas toujours évident d’obtenir le droit de suivre un participant sur son lieu de travail ou chez lui. Cela dépend beaucoup de votre cible et du domaine dans lequel vous évoluez. En contrepartie, les résultats obtenus sont très enrichissants car cette méthode vous permet d'étudier le comportement des utilisateurs dans leur univers habituel.
Le Focus Group
Durant un Focus Group, quelques participants (entre 5 et 8 en général) sont invités à discuter, en groupe, d’un sujet, de leurs problématiques en rapport avec ce thème et de réfléchir ensemble à des solutions éventuelles. Un animateur les guide pendant ces 2 ou 3h d’échanges et d’exercices.
Cette méthode qualitative s’est particulièrement développée pour les études de marché en marketing. En recherche utilisateur, elle reste peu utilisée car on lui préfère généralement les entretiens utilisateurs, plus personnels. Elle est efficace en phase de recherche exploratoire, pour déterminer les problématiques des utilisateurs et arbitrer les priorités.
Lors du recrutement, attachez-vous à composer des groupes hétérogènes représentant votre cible au plus proche de la réalité : vous pourrez observer les différences de besoins et de priorités entre les uns et les autres. Comme l’atelier de co-conception, un Focus Group peut être complexe à organiser (logistique) et à animer. Mieux vaut passer par un organisme spécialisé même si cela peut être coûteux : le temps que vous gagnerez le revaudra. Comptez pour cela un budget minimum de 4000€.
Le journal de bord
Les participants sont invités à utiliser un produit ou un service sur une longue période (plusieurs semaines) et à consigner ou enregistrer dans un journal de bord leurs impressions, les résultats ou tout autre information nécessaire pour l’étude. Ce journal peut être sous forme d’un véritable carnet de bord ou par caméra par exemple.
Ce type de recherche qualitative est utilisé lors de tests sur version expérimentale. C’est une technique très coûteuse, d’une part car il vaut faudra recruter les participants et très probablement les dédommager mais également car elle s’avère très chronophage : il vous faudra prendre du temps avec chacun des participants pour les accompagner, récolter les données, les trier et les analyser. Mais les retours obtenus sont particulièrement qualitatifs car vous suivez l’utilisation d’un produit ou d’un service sur du long terme.
Les avis et retours client spontanés
Une méthode de recherche qualitative simple consiste à étudier et analyser les retours directs des clients sur son produit ou son service.
Ces retours et besoins sont récupérés par l’équipe chargée de la clientèle, ou bien par l’équipe commerciale. Ils peuvent être sous forme de mails, de tickets, de compte-rendu d’appels, ou bien demandés directement sur le site avec des outils comme Hotjar par exemple. Ils sont là, quelque part dans votre société et plutôt facile à obtenir, il vous suffit de savoir où !
En ce qui concerne le budget, tout dépend de vos aspirations : vous l’aurez compris, en récoltant les retours existants, il est facile d’obtenir des retours clients sans débourser un sous. Plus vous voudrez intégrer cette démarche et donc centraliser les retours clients venant de sources variées, plus il vous faudra de temps d'analyse ou du budget pour investir dans des outils le permettant, avec des outils comme Productboard par exemple, dont l’abonnement commence à partir de 50€/mois.
Cette méthode est la première étape si vous souhaitez mettre en place une démarche de recherche utilisateur dans votre équipe produit. Une fois organisée, elle est utilisée de manière récurrente tout au long de la vie du produit.
Il existe encore bien d’autres méthodes, notamment décrites dans cet article de Nielsen Norman Group sur les différentes méthodes de recherche utilisateur. Notamment, certaines méthodes sont à la limite entre le quantitatif et le qualitatif, comme le suivi de l’oeil ou le tri des cartes par exemple. J’ai choisi de ne pas vous le présenter dans cet article mais n’hésitez pas à vous renseigner à leur sujet.
Conclusion : récapitulatif des méthodes qualitatives
Vous êtes un peu perdu(e) dans toutes ces méthodes et ne savez plus laquelle choisir ? Pas de panique, voici un petit résumé des principales techniques :
MéthodePermet de testerBudgetQuand l’utiliserTests utilisateursComportement$ (DIY)
$$ (test non modéré via une plateforme)
$$$$ (test réalisé en laboratoire)Phase de test et d’implémentationEntretiens utilisateursAttitude$$-$$$Phase de recherche exploratoireGuerilla testComportement$Phase de test et d’implémentationAtelier de co-conceptionAttitude$$-$$$Phase d’idéationObservationComportement$$-$$$Phase de recherche exploratoireFocus GroupAttitude$$$Phase de recherche exploratoireJournal de bordAttitude$$$Phase de test et d’implémentationRetours clientsAttitude$Phase de test et d’implémentation puis en phase de production
De la même façon que recherches quantitative et qualitative sont complémentaires, les méthodes de qualitatif le sont aussi. Ne vous contentez pas d’une seule et unique méthode. Mélangez-les : vos résultats n’en seront que plus riches, comme l’exprime Arthur Boulanger, Head of User Experience d'Evaneos, dans son interview : “Il faut varier les méthodes. Je crois vraiment à la complémentarité des différentes techniques car elles ont toutes un biais, elles ont toutes leurs limites.” Le tout étant d’avoir conscience de ces biais et de les prendre en compte dans votre analyse de résultats. N’hésitez pas à expérimenter des nouvelles méthodes ! Et cela tombe bien : vous pouvez recruter des participants pour n'importe quelle méthode sur Tandemz !